MORSURES. Joao Miguel Alves-Nunes est un chercheur qui donne son corps à la science. Munis de solides chaussures et de jambières épaisses, il a marché sur le corps de 116 spécimens de Bothrops jararaca, le serpent le plus dangereux de la forêt atlantique du Brésil, dans les Etats de Sao Paolo et de Rio de Janeiro, afin de provoquer chez eux leur réaction de défense. A 30 provocations par serpent, le chercheur a engrangé 40.480 observations de morsures dont il a tiré des enseignements que viennent de publier Scientific Reports.
Joao Miguel Alves-Nunes est un jeune chercheur de l’Institut Butantan à Sao Paulo, l’un des plus grands centres de recherche et de fabrication de sérums anti venins. La seule fois où un serpent a réussi à percer ses chaussures de protection (par un serpent à sonnette et non un jararaca), il a donc pu être pris rapidement en charge par ses collègues médecins.
Personne au sein de cette institution n’a mis en cause la procédure choisie par le chercheur. Car celui-ci comble un manque. "L’essentiel des recherches portent sur la composition du venin et sur la fabrication d’un contre-poison, explique-t-il dans un interview à la revue Science. Mais le comportement du serpent et ce qui l’amène à mordre est un champ de recherche négligé, notamment au Brésil".
Certes, les obstacles pour observer les moyens de défense des jararacas ne manquent pas. Ce serpent forestier très répandu au point de ne pas figurer parmi les espèces menacées des listes rouges de l’UICN n’interagit avec les hommes que dans des régions rurales reculées. Les circonstances qui amènent à un empoisonnement sont donc rarement connues. Aussi le chercheur a-t-il élaboré un protocole rigoureux consistant à déposer sur le sol de son laboratoire divers spécimens puis à marcher sur les diverses parties de l’animal : tête, milieu du corps, queue. Des Jararacas plus ou moins âgés et des deux sexes ont ainsi été testés.
Une meilleure connaissance du comportement pourrait réduire les morsures
COMPORTEMENT. On en apprend ainsi un peu plus sur le comportement de ce reptile. Les plus petits mordent plus que les plus grands, les femelles plus que les mâles et donc les petites femelles sont les plus redoutables surtout quand elles sont jeunes.
Les serpents réagissent plus quand on leur marche sur la tête que sur toute autre partie du corps. Ils mordent plus le jour que la nuit et ils sont plus agressifs quand les températures sont élevées. Tout cela, on l’ignorait avant les expériences de Joao Miguel Alves-Nunes.
Pour le chercheur, ces informations peuvent permettre de mieux distribuer les doses anti-poisons. Au Brésil comme dans la plupart des pays du monde confrontés à ces morsures et qui sont généralement des pays en voie de développement, les autorités ne peuvent doter en toutes les villes et villages de médicaments. Avec ces nouvelles données, les doses pourraient être données en priorité dans les régions les plus chaudes où il y a le plus de serpents femelles en utilisant les études sur la distribution spatiale des espèces.
5,4 millions de personnes mordues tous les ans par des serpents
Mieux connaître le comportement des espèces venimeuses (serpents, mais aussi scorpions, araignées) pourraient ainsi faire diminuer le nombre de victimes. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tous les ans 5,4 millions d’humains sont mordus par des serpents et on compte entre 1,8 et 2,7 millions d’empoisonnement.
Entre 81.000 et 137.000 personnes en meurent et on estime qu’il y a trois fois plus de victimes qu’il faut amputer d’un membre ou bien qui gardent des séquelles irréversibles et ce alors qu’il existe des traitements efficaces.
" Dans de nombreux pays où les morsures de serpents sont fréquentes, les systèmes de santé ne disposent pas des infrastructures et des ressources pour collecter des données statistiques solides sur ce problème. L’évaluation du véritable impact se complique d’autant plus que le nombre des cas notifiés aux ministères de la Santé par les cliniques et les hôpitaux ne représente en réalité qu’une faible proportion de la charge de morbidité réelle ; en effet de nombreuses victimes n’arrivent jamais dans les établissements de soins de santé primaires et ne sont donc pas enregistrées", déplore ainsi l’OMS.
En conséquence, le manque de données a rendu difficile l’évaluation des besoins ce qui a amené les fabricants d’anti-venins à réduire leur production et à augmenter leurs prix, provoquant des pénuries, notamment en Afrique.