Les 2,2 millions de Brésiliens de la ville de Manaus, capitale de l’Amazonie brésilienne, bénéficient-ils désormais d’une immunité collective qui les met quasiment à l’abri de la contagion ? L’information, qui a très largement circulé jeudi à l’international, est à prendre avec prudence. La source est une étude médicale préliminaire publiée mercredi, selon laquelle 66% des habitants de la ville, très fortement touchée par la pandémie au printemps, posséderaient des anticorps contre le coronavirus. Un taux suffisamment élevé pour que la maladie ne puisse plus se propager efficacement. C’est ce qu’on appelle l’immunité collective, ou grégaire.
Le texte est signé par un groupe de 34 chercheurs brésiliens et étrangers (travaillant notamment à l’Université Yale aux Etats-Unis ou à la faculté de zoologie d’Oxford en Angleterre). MedRxiv, le site où il est disponible (en anglais), précise que le rapport est «un travail préliminaire qui n’a pas été évalué par des pairs», c’est-à-dire des spécialistes reconnus. «Il ne doit pas servir de base à des pratiques cliniques, ni être présenté par les médias comme une information prouvée», avertit MedRxiv.
Située dans la forêt amazonienne, Manaus a été le théâtre d’images d’hôpitaux débordés, de cadavres entassés dans des camions frigorifiques et de fosses communes lorsque l’épidémie y était à son apogée, en mai. Les besoins en cercueils étaient quatre à cinq fois plus élevés qu’un an auparavant. La ville a enregistré 2 462 décès dus au Covid-19. Si c’était un pays, il aurait le deuxième taux de mortalité le plus élevé au monde, avec 100,7 décès pour 100 000 habitants. La moyenne du Brésil est de 66,1 morts pour 100 000 habitants. Mais le nombre de décès a chuté de façon spectaculaire ces dernières semaines, pour atteindre une moyenne quotidienne de 3,6 au cours des deux dernières semaines. Cette situation a permis un rapide déconfinement des commerces, des lieux publics et des espaces de loisirs, comme son célèbre opéra construit en 1884, quand Manaus était l’opulente capitale mondiale du caoutchouc.
Voie dangereuse
«Il apparaît que l’exposition au virus ait entraîné une baisse du nombre de nouveaux cas et de décès à Manaus», a déclaré la coordinatrice de l’étude, la professeure de médecine de l’université de São Paulo, Ester Sabino, à la Fondation de soutien à la recherche de l’Etat de São Paulo (FAPESP) qui a contribué à financer l’étude. Cependant, pour des experts de la santé, chercher à atteindre l’immunité grégaire serait une voie dangereuse pour les décideurs politiques.
«L’immunité collective par infection naturelle n’est pas une stratégie, c’est le signe qu’un gouvernement n’a pas réussi à contrôler une épidémie et qu’il en paie le prix en vies perdues», a écrit sur Twitter Florian Krammer, professeur de microbiologie à l’école de médecine Icahn de l’hôpital Mount Sinaï à New York. En appliquant le modèle Manaus, la MIT Technology Review a calculé que les Etats-Unis n’atteindraient l’immunité grégaire qu’après 500 000 morts (contre 200 000 actuellement). Les Etats-Unis sont le pays le plus endeuillé au monde par la pandémie, devant le Brésil, avec plus de 138 000 morts.
Par ailleurs les chercheurs ne garantissent pas que l’immunité constatée sera de longue durée. C’est le cas de l’infectiologue Júlio Croda, qui s’est rendu à Manaus la semaine dernière comme expert de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS). Selon lui, le respect de la distance physique et le port du masque doivent rester la règle, dans la capitale de l’Amazonie comme ailleurs. Les 34 chercheurs concluent d’ailleurs leur étude par une note pessimiste :